IP Box et concession de logiciels intragroupe
- Adrien Brazier

- il y a 4 heures
- 6 min de lecture
Beaucoup d’entreprises pensent que le régime IP Box ne s’applique qu’aux revenus facturés à des clients externes.
C’est une idée reçue.
En tant qu'éditeur d’un logiciel au sein d’un groupe, vous avez globalement deux manières principales de le faire exploiter par vos filiales :
la filiale utilise le logiciel pour ses propres besoins internes (process, back-office, gestion, ERP, etc.) ;
la filiale exploite le logiciel commercialement, en le vendant ou en le sous-licenciant à des clients externes.
Dès lors qu’une filiale paie une redevance pour utiliser et/ou exploiter un logiciel développé au sein du groupe, cette transaction peut, sous conditions, être considérée comme un revenu de concession pleinement compatible avec l’IP Box.
Usage interne : licence d’utilisation intragroupe
Contexte : logiciel métier ou outil interne partagé dans le groupe
Imaginons que vous êtes une société localisée en France, appartenant à un groupe multinational, et ayant développé, à la demande du groupe, un logiciel métier à destination de l'ensemble des filiales. Il n'est pas prévu que le logiciel soit utilisé commercialement par cette filiale.
Dans ce cas :
votre société concède à ces filiales une licence d’utilisation pour qu'elles puissent l'utiliser ;
le logiciel reste cependant propriété de votre société ;
la filiale vous paie une redevance en contrepartie.
Pourquoi ce schéma est intéressant et compatible avec le régime IP Box
D’un point de vue juridique, la notion de licence d’exploitation est bien définie : selon l'administration fiscale (BOI-BIC-BASE-110-10 §290), la concession d’une licence d’exploitation peut aussi bien couvrir un usage interne qu'une exploitation commerciale.
Ainsi, les flux intragroupe résultant d’une telle licence interne peuvent être considérés comme des revenus de concession et sont potentiellement éligibles à l’IP Box, si les autres conditions sont respectées par ailleurs.
Exemple concret
Vous êtes une société spécialisée de développement logiciel, créée au sein d’un groupe logistique international pour concevoir un WMS nouvelle génération (gestion d’entrepôt) intégrant IA, optimisation en temps réel, vision industrielle et algorithmes propriétaires.
Ce WMS est utilisé dans l’ensemble des entrepôts du groupe, en France, en Europe et en Asie, pour améliorer la productivité et la précision des opérations.
Votre société éditrice accorde aux filiales opérationnelles une licence d’utilisation interne, exclusivement pour leurs besoins logistiques.
Ces filiales paient une redevance d’usage intragroupe (ou une quote-part de coûts internes) dont le montant a été déterminé suite à un benchmark de transactions comparables.
Ce flux constitue un revenu de concession au sens de l’IP Box et est donc éligible.
Aucune sous-licence ni revente à des tiers : l’usage est strictement interne, limité à l’exploitation des entrepôts du groupe.
Exploitation commerciale via filiale : licence d’exploitation et distribution / sous-licences
Contexte : la filiale commercialise le logiciel à des clients externes
Dans ce schéma, votre société, en tant qu’éditeur, concède à ses filiales non seulement le droit d’utiliser le logiciel (si cela est pertinent), mais aussi le droit d’exploiter commercialement : facturer le logiciel, vendre des licences ou abonnements, distribuer des copies, fournir un accès SaaS ou autre.
Concrètement, cela passe par un contrat de licence d’exploitation (pas un simple accord de distribution, cf. ci-après) : la filiale devient licenciée, conserve l’actif protégé (PI), et obtient le droit de commercialiser l’usage via licences / abonnements / sous-licences.
Licence d'exploitation vs. contrat de distribution logiciel
La licence d’exploitation constitue un accord de concession d’un actif incorporel : l’actif reste votre propriété en tant qu'éditeur, mais le licencié (la filiale) obtient un droit d’exploitation. Le régime IP Box vise précisément les revenus issus de ces concessions ou sous-concessions.
L’accord doit être distinct d’un simple contrat de distribution. Dans un contrat de distribution, la filiale joue le rôle de revendeur : elle revend le logiciel ou l’accès tel qu’elle l’a reçu, sans nécessairement détenir une licence d’exploitation formelle.
Avec une licence d’exploitation, la filiale peut, selon les termes, exercer des droits d’utilisation, d’installation, de copie de sauvegarde, d’exploitation commerciale ou de fourniture de service, tout en respectant la PI, sans transfert de propriété.
Pourquoi un simple accord de distribution ne suffit pas
Dans un contrat de distribution, le distributeur n’obtient en général qu’un droit de revendre le logiciel ou l’accès, sans droit d’exploitation autonome : il est intermédiaire commercial.
Ce modèle ne crée pas forcément un flux qualifiable de “concession de licence” selon le régime IP Box : les revenus seraient perçus comme des ventes ou prestations, non comme des redevances de licence.
En cas de contrôle fiscal, l’administration peut refuser l’éligibilité si le contrat ne formalise pas une véritable licence d’exploitation.
Exemple concret
Reprenons notre exemple précédent, d'une société éditrice d'un logiciel WMS propriétaire au sein d'un groupe logistique.
Pour commercialiser ce WMS en Amérique du Nord, elle concède à sa filiale US une licence d’exploitation (exclusive).
Cette licence permet à la filiale :
de commercialiser le logiciel sur son territoire,
d’accorder des sous-licences à ses clients,
de réaliser les actes nécessaires à l’utilisation du logiciel (installation, configuration, copie de sauvegarde),
d’assurer l’hébergement local et la maintenance corrective.
La maintenance évolutive et la R&D restent centralisées en France ; la filiale peut demander des évolutions (change requests) mais ne les développe pas.
En contrepartie, elle verse des redevances à l’éditeur français, propriétaire exclusif de l’actif logiciel.
Ce schéma constitue un revenu de concession éligible à l’IP Box, à condition que la licence soit clairement formalisée dans une convention adéquate.
Quel est le bon prix d'une licence logiciel intragroupe
Dans la mesure où votre entreprise éditrice du logiciel a correctement licencié aux entités membres du groupe, les redevances qui remontent peuvent bien être prises en compte dans le calcul du résultat net IP Box.
L'administration fiscale ne devrait pas trouver de terrain de contestation sur ce point.
En revanche encore il convient que le prix de cette redevance soit réputé juste au regard des règles fiscales.
Une telle étude pour déterminer un prix juste peut alors se rapprocher des méthodes de prix de transfert.
De manière générale une redevance intragroupe repose alors sur trois principes simples.
1. Elle doit être cohérente avec la répartition des fonctions dans le groupe
La redevance doit refléter la contribution de chaque entité : développement, exploitation, support, commercialisation.
2. La méthode utilisée doit être documentée
Plusieurs approches peuvent être utilisées pour le calcul d'une redevance :
Comparables : comparaison avec une ou plusieurs redevances existantes pratiquées entre sociétés indépendantes, dans des situations similaires.
Cost-plus : coûts de développement + marge adéquate.
Profit split : partage de la valeur créée entre les différentes entités situées sur la chaine de valeur.
Méthodes mixtes pour les modèles complexes.
En matière d'IP Box, l’administration ne privilégie pas de méthode en particulier. Elle demande en revanche une logique claire, cohérente et retracée dans le temps.
3. La valeur attribuée à la licence doit refléter son apport réel
Le montant ne doit ni excéder la valeur économique du logiciel, ni rémunérer des services qui n’ont pas vocation à entrer dans l’assiette IP Box.
4. Les éléments indispensables d’un contrat de licence intragroupe
Un contrat intragroupe peut être simple, mais certains points doivent impérativement apparaître pour sécuriser l’IP Box.
Propriété intellectuelle : la société éditeur du logiciel et qui facture demeure propriétaire du logiciel.
Concession d’un droit d’exploitation : préciser l'exploitation entre usage interne, commercialisation, intégration.
Aucune cession de droits patrimoniaux : la filiale obtient un droit d’usage, pas la propriété.
Clarification des obligations réciproques : maintenance, support, évolutions, limites d’usage.
Base de rémunération explicite : nature de la redevance, méthode, fréquence.
Dans de nombreux groupes, ces contrats sont inexistants, incomplets ou trop généraux : c’est souvent le premier point à renforcer pour limiter le risque de contestation par l'administration fiscale.
Oui : les flux intragroupe peuvent être éligibles à l'IP Box
Les flux intragroupe peuvent parfaitement être éligible au régime d'IP Box.
C’est même une opportunité importante lorsque le groupe développe en interne des logiciels utilisés par plusieurs entités.
La clé réside dans :
la rédaction d'une convention alignée avec les besoins opérationnelles et les contraintes du dispositif IP Box,
la réalisation d'une étude visant à déterminer une rémunération juste de la redevance logicielle, si possible basée sur une méthode de prix de transfert justifiée,
la rédaction d'une documentation méthodologique suffisamment explicite en cas de contrôle de l'administration fiscale.
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